Chers camarades, chers amis,
Je veux d’abord remercier les comités d’appel devenus aujourd’hui comités de soutien qui ont créé les conditions de la décision que j’ai prise. Dès aujourd’hui nous sommes une force.
Comment en effet ne pas être saisi de stupeur et de colère devant l’affaissement de ce qui nous unit, et de ce dont nous avons la charge devant l’histoire ? Comment ne pas être préoccupés devant l’effacement de la France, le vacillement des principes républicains qui la charpentent, le brouillage des valeurs qu’elle porte depuis deux siècles, comme si la République n’était plus qu’une parenthèse à refermer dans notre Histoire ? Où le dire mieux qu’à Vincennes ? D’ici, l’unité de la nation et de l’État nous parle du fond des âges. Dans ce grand lieu de notre Histoire, nous mesurons mieux à quel point nos gouvernements successifs se sont défaussés de leurs responsabilités.
La France ne sait plus où elle va. Son destin lui échappe. Les marchés financiers mondiaux en disposent. Notre politique monétaire se décide à Francfort, notre politique économique à Wall Street, nos engagements militaires à Washington. Dans quatre mois, le franc va disparaître. Et nous voici démunis de moyens pour faire droit aux exigences de nos concitoyens. Dans l’euphorie de la mondialisation heureuse, nos gouvernants considéraient la croissance comme garantie pour longtemps par l’essor des nouvelles technologies. Que la conjoncture se retourne, comme aujourd’hui, et nous découvrons la dictature des marchés financiers, les plans sociaux -Moulinex-, les délocalisations industrielles -Flextronics-, le creusement des inégalités, bref le retour à un archéocapitalisme du XIXème siècle !
En tous domaines, nos dirigeants ont laissé effacer les repères républicains. Ils ont bradé les valeurs de l’École Publique et découragé en Corse les Républicains.
Pour tout ce qui concerne la préparation du long terme –planification de l’énergie et des transports, politique industrielle, aménagement du territoire-, l’État, dont c’est pourtant la tâche essentielle, s’est mis aux abonnés absents.
Citoyennes et Citoyens, chers compatriotes, il existe un autre chemin que celui qu’on nous propose, une autre voie que celle où piétinent depuis des années une droite et une gauche aujourd’hui à bout de souffle. Sans doute beaucoup seront tentés de s’en remettre, selon les fatales habitudes qui ont conduit le pays là où il est, au chef d’un parti, le chef du RPR ou le chef du PS, dont le temps a usé les principes, et dont les programmes, pour l’essentiel, se confondent. A chaque grande échéance, ces partis ont toujours fait les mêmes choix de renoncement : Maastricht, l’euro, l’enlisement dans les Balkans, la déconstruction de l’État, la fragmentation du territoire.
Bien sûr il est arrivé à Jacques Chirac d’invoquer l’autorité de l’État : c’était le 14 juillet dernier, mais c’était pour refuser de déférer à la convocation d’un juge !
* * *
Les victimes de cette politique d’abandon sont d’abord ceux qui n’ont pour vivre que leur travail, licenciés atteints par les plans dits sociaux, condamnés au chômage de masse, privés de perspectives pour eux-mêmes et pour leurs enfants, guettés par la désespérance dans les quartiers de nos villes où s’accumulent difficultés et handicaps.
La victime c’est aussi la démocratie ; notre Parlement est devenu théâtre d’ombres, résigné à ce que 80% de nos normes soient à présent édictées hors de son enceinte.
La victime, c’est la France, nation politique par excellence, dont le souffle est la souveraineté populaire, le désir de vivre ensemble, la volonté de faire de grandes choses pour l’avenir. La France, tant de fois relevée par la République, chancelle aujourd’hui avec elle.
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Le pouvoir pour le pouvoir ! Là est le mal ! C’est par là que la démocratie dépérit ! Tout l’effort de tant d’hommes et de femmes sincères, dérivé, capté, détourné et trahi, par mille ruses, cabales, reptations, dissimulations, mensonges, assauts de démagogie, cynisme en bandoulière, opportunisme érigé en doctrine, pour faire « la seule politique possible », voilà qui découragerait le citoyen le plus vertueux si nous n’étions pas là, capables de tracer et de maintenir les repères de la République. Oui, je maintiens qu’il y a une autre politique possible que celle que nous imposent tour à tour, prisonniers de la même orthodoxie, des mêmes dogmes, des mêmes allégeances, des mêmes appétits, les libéraux-sociaux et les sociaux-libéraux.
Ce destin n’est pas inexorable. Les marchés financiers ne sont pas l’horizon de l’Humanité. Voyez nos entreprises de haute technologie : Alcatel, Cap Gemini, massacrées à la Bourse par les Fonds spéculatifs américains, pour se faire ramasser demain par n’importe quel prédateur boursier ! D’autres valeurs que l’argent meuvent le monde. Ce sont les nations et les peuples qui sont la vraie permanence de l’Histoire. Le destin des peuples ne se confond pas avec la marchandisation de la planète.
Cette résignation des uns et des autres à la fatalité d’une sorte de pancapitalisme, je l’appelle renoncement.
La mondialisation, le sens perdu de la citoyenneté, ce sont autant de défis à relever.
Si je me tourne à présent vers le peuple, ce n’est pas pour l’aboutissement d’ambitions personnelles ou la réalisation d’une obsession rentrée. C’est expérience faite et après mûre réflexion. Comme responsable politique et comme membre du gouvernement à quatre reprises ayant eu la charge de cinq ministères, j’ai toujours d’abord servi le pays : en redynamisant la recherche, en construisant une politique industrielle, en relevant l’École publique, en modernisant l’outil d’une défense française indépendante, en assumant la responsabilité de l’ordre public, et en faisant vivre la citoyenneté. Et en même temps, j’ai toujours cherché à enrayer la dérive qui nous faisait dévaler la pente des abandons. Je n’ai jamais fait la politique du pire. J’ai toujours assumé mes responsabilités et je ne renie rien de ce que j’ai fait et dont je vous ferai grâce. Mais je suis arrivé aujourd’hui à la conclusion que seule une détermination entière au sommet de l’État peut désormais renverser le cours des choses. La mienne est solidement établie.
Je crois profondément aux valeurs de la République : Liberté, laïcité, citoyenneté, égalité devant la loi, égalité des chances, solidarité et indépendance des peuples. La République ne va pas sans le citoyen. Le civisme est la forme moderne du lien social. Cette exigence ne serait, paraît-il, pas moderne ? Mais qu’est-ce qui est moderne ? L’exacerbation de l’individualisme au détriment des solidarités les plus élémentaires ? La corruption, la spéculation, la délinquance, le mépris des fonctions assumées dans l’État ? Entre la République et la loi de la jungle il faut savoir ce qui est moderne ou pas. Voilà la question que je pose au peuple français.
Que nous propose-t-on en face du modèle républicain ? Le modèle « égaux mais séparés » sur fond de ghettos et de quartiers réservés ?
Non ! Le modèle républicain est jeune, porteur d’espoir en Europe et dans le monde. Les exemples sont nombreux du danger que l’explosion des communautarismes et des identités meurtrières fait peser sur la paix.
Notre peuple attend qu’on lui tienne le langage simple de la vérité. Je n’évoquerai pas Périclès qui tenait son autorité, selon Thucydide, non seulement de ses qualité d’esprit, mais aussi –je cite- « de son éclatante intégrité pour ce qui est de l’argent ». Non ! plus près de nous, j’évoquerai deux grands hommes qui ont marqué mon adolescence : Mendès-France et De Gaulle, dont personne n’a jamais douté qu’ils parlaient en vue du bien public, quelque différente que fût l’idée qu’ils pouvaient s’en faire, et qui n’hésitaient pas à remettre en jeu leur mandat quand cette idée-là était en cause ! Car les ors de la République c’est bien, mais la République c’est encore mieux !
Eh bien, je vais vous proposer, je vais proposer au peuple français dix orientations fondamentales et cohérentes pour relever la République :
– Les principes d’abord ;
– ensuite l’École ;
– la sécurité ;
– la revalorisation du travail ;
– la reconstruction de l’État ;
– la pleine égalité de la femme ;
– la garantie de la retraite et de la protection sociale ;
– l’aménagement du territoire et l’homme mis au cœur de l’environnement ;
– la création : science et culture ;
– la France doit rester enfin une grande puissance politique,
– dans une Europe de projets ambitieux, complément et non substitut des nations,
– une puissance tournée vers le Sud,
– capable de proposer des règles dans la mondialisation,
– avec une défense qui soit d’abord la sienne.
1. La République doit retrouver ses principes.
La discrédit du politique a une cause essentielle : c’est l’écart entre les paroles et les actes de ceux qui nous dirigent à la petite semaine, sans conviction véritable, au gré des sondages, à coup d’effets d’annonce et de trompe l’œil. Nos dirigeants ne veulent plus gouverner. Ils veulent « gouvernancer », selon l’expression de Pierre-André Taguieff : les privilèges des fonctions sans les responsabilités. C’est cette conception de la politique qui est ringarde. Nos concitoyens réclament compétence, vérité, honnêteté, constance. Plus la réalité est complexe, plus elle change vite et plus nous avons besoin de principes clairs. J’en énoncerai quatre –l’autorité de la loi, la souveraineté populaire, la citoyenneté et l’égalité des chances- à charge pour moi de les traduire ensuite en actions.
1. L’autorité de la loi.
La République n’est pas un régime de faiblesse. C’est un régime de liberté, ce qui est tout à fait différent. Elle n’accepte pas la loi de la jungle. Elle affirme fermement l’autorité de la loi égale pour tous.
2. La souveraineté populaire.
La République lie indissolublement la souveraineté populaire et la démocratie. La souveraineté appartient au peuple. Elle est inaliénable. Le Peuple français peut déléguer des compétences, à condition que celles-ci soient démocratiquement contrôlées. Il ne peut pas déléguer sa souveraineté, sauf à se dissoudre lui-même. C’est tout cela qu’il faut ressaisir, relever, rattraper. La tâche est immense. C’est à cela que je vous convie !
3. La citoyenneté.
Notre idéal, c’est la citoyenneté active. Mais soyons clairs : la liberté n’autorise pas toutes les dérives. La citoyenneté implique des devoirs, envers soi-même, envers les autres, envers la nation, envers l’Humanité. Bien sûr, la citoyenneté signifie aussi don de soi, solidarité, participation responsable à ce que Jaurès appelait « la grande vie humaine ».
Promouvoir l’éveil de la conscience, faire comprendre ce que signifient devoir, responsabilité, solidarité, générosité, c’est, je le crois, répondre à l’attente véritable des jeunes.
La jeunesse méprise le jeunisme, cette complaisance et cette démagogie propres à certains de nos responsables qui ont peur de parler à la jeunesse le langage de ses intérêts véritables. Le moment est venu de siffler définitivement la fin de l’époque où il était interdit d’interdire.
4. Le sens de l’égalité.
Au cœur de l’exigence républicaine, il y a enfin l’égalité, le sentiment de ce que chaque homme porte en lui d’immenses potentialités. L’égalité républicaine c’est à la fois l’égalité devant la loi et la chance donnée à chacun d’épanouir toutes ses capacités.
Rien n’est plus urgent à cet égard que la mise en œuvre d’une véritable politique d’accès à la citoyenneté.
2. Fixer ses missions à l’École.
Au cœur de la République, il y a le citoyen éclairé par l’École. De l’école, les parents comme les enseignants attendent que les pouvoirs Publics fixent enfin clairement les missions : d’abord transmettre le savoir et la culture et faire, pour le pays tout entier, le pari sur l’intelligence ; ensuite former le jugement de nos jeunes pour qu’ils puissent faire demain leur métier de citoyen, avec leurs droits, mais aussi avec leurs devoirs.
Je sais l’inquiétude des parents qui voient s’affaiblir l’outil de l’égalité des chances qu’est l’École pour leurs enfants ; je sais leur préoccupation quand ils constatent qu’au lieu de s’ouvrir sur la vie comme on l’avait promis, l’école a ouvert ses portes à l’irrespect, à la violence, à l’inégalité.
Loin de perpétuer l’excessive confusion des rôles, où la connaissance finit par être dévalorisée, où la responsabilité se perd, j’entends placer la transmission des savoirs et l’autorité des maîtres au centre de École Une école républicaine digne de son rôle affirme que l’acquisition des connaissances affranchit de l’ignorance et qu’elle ne va jamais sans effort.
Cela passe par une acquisition sûre et sérieusement évaluée des savoirs fondamentaux à l’école primaire : Il faut cesser de disperser l’attention des élèves par une multitude de matières, et souvent au détriment de l’essentiel, c’est-à-dire de l’apprentissage du français, alors que 17 % des élèves ne le maîtrisent pas à l’entrée en classe de sixième.
Il faut mettre un coup d’arrêt à la fuite dans l’innovation permanente, au culte de l’actuel, au suivisme à l’égard de la mode. Halte au bougisme ! Ainsi les langues régionales peuvent faire avantageusement l’objet d’un enseignement par option. La République comme espace commun à tous les citoyens ne proscrit nullement l’attachement de chacun à ses racines particulières. Ce sont les adversaires historiques de l’égalité qui cherchent à confondre celle-ci avec l’uniformité.
A l’inverse, le protocole qui intègre à l’École publique des établissements qui pratiquent en totalité « l’enseignement par immersion » dans une langue régionale réduit le français à n’être plus qu’une langue étrangère. Après le franc, c’est le français qu’il faudrait faire disparaître ?
Comment ne pas voir que cette politique complaisante nourrira à terme des ethnicismes qui, au nom d’une identité mythique, se croiront demain autorisés à remettre en cause la loi républicaine ? C’est cela la modernité ? Le FLNC, l’ETA, l’ARB, l’UCK ?
L’encouragement aux micronationalismes ethniques va de pair avec l’uniformisation marchande du monde. Alain Madelin est le plus sûr soutien du processus de Matignon. Est-ce un hasard ?
Revenons à l’École : assurer à tous les élèves une bonne maîtrise du français, c’est le moyen le plus efficace de remédier en amont aux difficultés du collège. S’agissant de celui-ci, il faut savoir rompre avec les credos d’hier pour aider chaque élève à trouver sa voie en diversifiant les itinéraires, tout en maintenant un socle d’exigences communes.
École de la République est une. Elle est à la fois creuset et ciment de l’unité nationale. Dans une société tellement inégale, l’unité de l’École, c’est-à-dire l’unité du savoir et des valeurs qu’elle est chargée de transmettre, demeure une garantie de justice sociale qu’il faut préserver. Or, cette unité est menacée par tous ceux qui, à droite bien sûr, mais parfois aussi à gauche, se sont engagés dans une surenchère permanente au prétexte de la décentralisation. Recrutement régional des maîtres, autonomie et mise en concurrence des établissements, pouvoir de recrutement donné aux chefs d’établissement, possibilité pour eux, et même pour les enseignants, de choisir dans les programmes nationaux ce qui répond aux besoins locaux, intervention des parents sur les contenus d’enseignement, telles sont les principales revendications qui, si elles étaient satisfaites, accentueraient les inégalités, défavoriseraient encore plus les plus démunis, sonneraient le glas de l’École de la République. Sachons mettre des bornes à la démagogie qui depuis le discours de Rennes de Jacques Chirac emporte notre Janus exécutif.
La qualité de la formation est garante de la qualité de l’École. Rendons aux enseignants l’hommage qu’ils méritent. Si l’École tient, c’est grâce à eux d’abord. Loin de les mettre au pilori, ces piliers de la République, confrontés en première ligne aux défis d’une société inégale, fragmentée, violente, doivent être soutenus fermement dans leur mission.
Pour que la France fasse monter la sève, l’inégalité sociale devant les études devra être âprement combattue. Je propose des mesures concernant tous nos jeunes de famille modeste, qui ont plus d’intelligence et de dévouement que de revenu ou d’entregent. État et les grands services publics offriront à des jeunes étudiants recrutés par concours, une rémunération durant leurs études, sous condition qu’ils s’engagent dans le service public durant dix ans. Ce sera le moyen d’amener au service de l’État les meilleurs, au moment où notre Fonction Publique doit être profondément renouvelée. État jouera son rôle au service de l’égalité, loin de mériter l’ironique condescendance dont l’affublent les libéraux. Ce sera le moyen d’améliorer grandement l’égalité des chances, de favoriser l’accès de tous -et je pense aux jeunes Français issus des vagues les plus récentes de l’immigration- aux emplois publics.
L’inégalité se creuse entre ceux qui ne disposent que des ressources scolaires, qui sont misérables, et ceux qui bénéficient du soutien de leur famille.
C’est particulièrement vrai pour l’accès aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. Les efforts d’équipement accomplis jusqu’à présent dans nos établissements scolaires ne sont pas négligeables ; ils restent encore dérisoires au regard des besoins, comme ceux de la formation des enseignants. Il ne s’agit pas de se nourrir d’illusions sur les bienfaits du web, mais d’y reconnaître l’une de ces innovations techniques qui, comme le téléphone ou la voiture automobile, s’imposent au monde moderne. C’est un lourd handicap de ne pas savoir en user.
J’ai réintroduit enfin l’instruction civique à l’École en 1985, mais il faut cesser de la confondre avec le droit administratif. Il faut que nos jeunes se pénètrent de l’esprit de la loi républicaine : respect de la règle délibérée en commun, qui libère de la loi du plus fort, débat éclairé en raison qui affranchit des dogmes, amour de la loi inscrit dans le cœur de chacun, comme garantie de sa liberté et promesse d’égalité.
Oui, tout commence à l’École, et c’est sur elle qu’il faut fonder l’effort de renouveau républicain.
3. Une citoyenneté également partagée est le meilleur socle d’une politique cohérente de sécurité. Cette politique ne demande que du courage.
Le droit, égal pour tous, à la sécurité doit devenir réalité. Je m’y attacherai en écartant les deux démons symétriques que sont la démagogie et l’angélisme. Entre une droite tentée par le discours musclé, masquant son inaction et son manque d’inspiration, et une gauche encore prisonnière de dogmes sommaires flattant sa bonne conscience, il y a place pour une politique de la réalité, à la fois rigoureuse et juste.
Je m’étais attaché à lui donner corps : création de la police de proximité assurant la mutation d’une police d’ordre vers une police au service des citoyens, encadrement des polices municipales, recrutement de policiers à l’image des citoyens, mise en place des commissions départementales d’accès à la citoyenneté…
Pour aller plus loin, j’avais tracé, en janvier 1999 dans une longue note d’orientation, les grands traits des actions nouvelles à mener. Vous savez le destin qui fut dans bien des cas réservé à mes propositions : Celles où je proposais des moyens cohérents pour réduire les noyaux durs de la délinquance dans nos cités furent soumises à un hallali où se mêlaient le refus de la réforme, le laxisme et l’absence de volonté. La gauche bien-pensante montra là son incapacité à sortir de ses ornières et à répondre aux préoccupations populaires. Le chantier est donc à reprendre et il est immense.
La première tâche est de réussir le plein accès à la citoyenneté de tous ces jeunes, quelle que soit leur origine, Français pour la plupart, dont certains croient que l’inégalité des droits les dispensent de respecter leurs devoirs.
Ainsi, solidement assise sur l’exigence d’égalité, une politique républicaine visant le droit égal pour tous à la sécurité pourra être menée. Il faut rompre avec l’indifférence ou l’impuissance des élites devant l’insécurité subie par les plus modestes.
Les yeux ouverts sur la réalité nous montrent l’explosion de la délinquance des mineurs et la colère de la population devant la multiplication d’exactions qui restent impunies. L’inadaptation de la réplique est flagrante. Le mineur délinquant n’est généralement guère sanctionné avant un très grand nombre de récidives. La Garde des Sceaux nous explique qu’il y a 650 mineurs incarcérés. Elle oublie de nous dire qu’en dessous de seize ans, ce n’est pas possible, sauf crime. Et surtout qu’il y a d’autres solutions que la prison. L’ordonnance de 1945 -le tout éducatif-, conçue à une époque où la délinquance des mineurs n’avait rien de comparable à ce qu’elle est devenue, est aujourd’hui périmée. Il s’agit donc de la modifier, en distinguant clairement les tâches d’éducation et la sanction, en organisant l’échelle des réponses à la délinquance, du simple rappel à la loi jusqu’aux sanctions plus graves. Il est vain d’opposer la sanction à la prévention, car la sanction qui est rappel à la règle comporte à l’évidence une dimension pédagogique. Toute société repose sur des limites dont le franchissement doit être sanctionné.
Une telle réforme législative doit s’accompagner de moyens d’accueil des jeunes délinquants en péril. Je propose de créer des centres de retenue, internats destinés à recevoir des délinquants multirécidivistes, à reprendre le cycle de leur éducation scolaire et professionnelle, capables de les retenir loin du milieu criminogène du quartier, le temps qu’il faudra pour les remettre dans le bon chemin. Je sais qu’une certaine bien-pensance est prompte à accorder aux délinquants des excuses absolutoires pour cause de pauvreté ou d’immigration. Mais c’est faire injure aux gens modestes comme aux familles d’immigrés que d’inventer je ne sais quelle prédestination à la délinquance. La vérité est qu’en République, un délinquant, fut-il riche ou pauvre, d’origine auvergnate ou maghrébine, doit être sanctionné. Et que la République se doit de tendre une main généreuse aux familles modestes ou récemment immigrées, à leurs enfants, dont l’immense majorité aspire à étudier, à réussir sa vie, à trouver un métier motivant. Aidons les à réussir, au lieu de pratiquer des amalgames indignes !
Lutter contre l’insécurité que subissent les Français exigera aussi d’améliorer la coopération police–gendarmerie–justice. La tâche est rude –et je tiens à saluer particulièrement le dévouement et le courage de nos policiers et de nos gendarmes, au contact des réalités ingrates qu’ils affrontent, souvent au péril de leur vie. Mais les institutions de la République doivent travailler en harmonie et en communauté de vues. En empêchant les situations où police et justice se contrarient ou s’opposent, on pourra faire reculer la délinquance, et notamment briser les noyaux durs de celle-ci. A l’inverse, l’angélisme qui a prévalu dans la préparation de la dernière réforme de la procédure pénale, votée par la droite comme par la gauche, malgré les réserves que j’ai été l’un des rares à émettre, a réduit de plus de 10% le nombre des gardes à vue, et cela au moment même où l’opinion s’inquiète de la montée de la délinquance. A qui faire croire que ceci n’a pas de rapport avec cela ?
La politique pénale doit être la même sur toute l’étendue du territoire national. Comment y parviendrait-on si les Parquets ne reçoivent pas d’instructions comme l’habitude s’en est prise ? L’essentiel est que ces instructions soient publiques et guidées par le seul souci de l’intérêt général. L’idée de rendre les Parquets autonomes, selon la proposition de la Commission Truche, réunie à l’initiative de Jacques Chirac, est une faute. Ceux qui sont soupçonnés souvent à juste titre de peser sur la justice, préfèrent, plutôt que de servir l’intérêt public, abandonner les rênes que le Peuple leur a confiées, ou plutôt faire semblant. Personne en effet n’est dupe des luttes d’influences qui se déroulent au sein de la Justice, théoriquement indépendante.
Les moyens en personnel de la police n’ont guère évolué depuis cinquante ans, et ceux de la justice depuis cent ans. Il faut prendre la mesure de la situation actuelle : elle est préoccupante mais elle n’a rien d’une fatalité. Une loi de programmation pour la police et pour la justice, une volonté claire, de bons textes, une citoyenneté renaissante, renverseront le cours des choses.
4. Revaloriser le travail et mobiliser tous nos atouts.
La réhabilitation de la valeur du travail est au cœur du pacte républicain. Je veux prendre ces termes dans leur double dimension.
a) La première, c’est la rémunération du travail. Depuis 1983, le rapport entre les revenus du capital et ceux du travail se sont dégradés de près de dix points. La réduction du temps de travail légal à 35 heures s’est accompagnée de la modération salariale. Eh bien c’est à présent la feuille de paie qu’il faut faire évoluer. La progression du salaire direct est nécessaire au soutien de l’activité économique. Est-il normal que la marge soit si faible entre les revenus de substitution et le revenu d’un smicard qui ne ménage pas sa peine ? Est-ce qu’une vie de travail, souvent dur et pénible, est vraiment respectée quand on voit le niveau des bas salaires ? C’est bien là dessus qu’il faut agir.
Une augmentation forte du SMIC sera rendue possible par la généralisation des allègements de charge et l’assouplissement des contraintes excessives liées aux trente cinq heures. Une conférence des salaires sera réunie pour examiner les minima de branche et les grilles salariales.
Je propose de relever le salaire direct et d’améliorer la feuille de paie, en accélérant le glissement nécessaire et justifié, d’une partie des charges sociales vers une base de cotisation plus large, celle de la fiscalité. Il n’est plus possible de soumettre l’emploi, notamment dans les petites entreprises, au fardeau des charges sociales et fiscales. Celles-ci sont devenues des obstacles à l’activité, des encouragements au travail au noir, un empêchement à la création d’entreprises. Les réductions d’impôts doivent être réalisées avec plus de discernement. Choisies avec sagesse, elles peuvent stimuler l’activité. Je veux en prendre pour exemple le taux de TVA dans la restauration. Ramené à 5% -c’est à dire au même taux que les Mac Donald’s sous prétexte de cuisine à emporter- il serait un superbe encouragement à l’embauche dans un secteur qui cherche des salariés, à l’amélioration des salaires, à la modération des prix. Plus globalement, une mesure de cet ordre retentirait positivement sur le secteur de la production agricole de qualité, sur la viticulture, et sur un certain art de vivre à la française. Pourquoi s’y refuser ? Parce qu’aucun gouvernement français n’a demandé à la Commission de Bruxelles le bénéfice de cette dérogation, alors que certains de nos voisins l’obtenaient sans difficulté. La France, première destination touristique mondiale, n’aurait-elle pas quelque titre pour justifier ce taux réduit de TVA à propos d’une activité particulièrement exigeante en main d’œuvre ?
b) Relever la valeur du travail, c’est aussi, tout simplement, mieux le considérer. Pour faire une société, il ne faut pas que des bourgeois bohèmes : il faut des ouvriers, des paysans, des employés, des fonctionnaires. C’est peu dire que la considération sociale qui les entoure s’est gravement effritée. Les travailleurs à qui, hier, le mouvement du progrès assignait la tâche rédemptrice de la révolution sociale, sont aujourd’hui la cible des quolibets. Pour la pub et la mode, pour les commentateurs post-modernes, ils sont ringards, considérés comme des freins à l’entrée de la France dans la mondialisation heureuse. Ce sont les Deschiens, bons à jeter aux chiens. Le mode de vie rural est offert en dérision ; ceux qui s’adonnent à la chasse sont vilipendés. L’ouvrier, hier icône de la gauche, est devenu un boulet qu’elle traîne honteusement, tant elle s’est identifiée à la vulgate libérale-libertaire.
Eh bien, la République, elle, n’ignore pas où sont les Républicains ! Une République moderne est une République sociale, qui rend justice au travail, à celles et ceux qui vivent de leur travail. Elle fait passer l’amélioration des salaires et des bas-salaires avant les stock options. Elle veille à la pérennité des régimes de protection sociale, à la réhabilitation de l’enseignement professionnel et de l’apprentissage des métiers, à la construction de véritables carrières ouvrières dans les entreprises. Elle valorise l’acquisition de nouvelles compétences, favorisant ainsi les mutations techniques dans l’industrie.
c) Revaloriser la valeur du travail, c’est aussi mobiliser nos marges de croissance.
Il existe des réserves considérables et totalement sous-estimées de mobilisation de la population active dans la décennie qui vient : beaucoup de femmes aspirent légitimement à trouver une activité professionnelle, si on leur facilite la vie par ailleurs. Il y a des millions de chômeurs qu’il faut remettre au travail en priorité avant de songer à ouvrir à nouveau les vannes de l’immigration. Enfin, le taux d’activité des jeunes et des plus de soixante ans est, en France, le plus bas d’Europe. Cela n’est pas raisonnable. On ne doit empêcher personne de travailler, bien au contraire. La France ne manque donc ni de travailleurs ni de capital. Encore faut-il les mobiliser activement, plutôt que de guetter, telle Soeur Anne, la reprise venue d’Amérique, comme certain Premier ministre, en principe socialiste, que je connais bien. Ce paradoxe s’explique pourtant aisément : nos dirigeants se sont défaits des leviers de commande qui leur permettraient d’agir.
Les variables d’ajustement de l’économie nous échappent désormais. Ou plutôt, dans le système actuel, il n’en reste plus que deux : les salaires et l’emploi. Si rien ne change, bonjour la stagnation salariale et les charrettes de licenciement !
Il est urgent de se ressaisir. Je propose une politique économique fondée sur trois axes essentiels : le soutien de la demande, l’amélioration de l’environnement des entreprises, le renouveau de l’action sur les structures.
– Pour soutenir la demande, il existe quatre leviers : outre une revalorisation des salaires et une politique active de la dépense publique, une politique d’argent bon marché et le maintien d’un change compétitif d’abord. Ces deux dernières politiques dépendent en tout ou en partie de la Banque Centrale de Francfort. Les Européens vont découvrir tardivement non seulement le séisme auquel l’introduction de l’euro va conduire, et les immenses difficultés que cela créera en particulier pour nos concitoyens les plus démunis. Malgré mes mises en garde, nos dirigeants collectivement, préfèrent sauter dans le noir, comme en quatorze.
Mais les Européens et les Français vont aussi découvrir les effets néfastes d’une Banque Centrale déliée de tout engagement à l’égard des citoyens et de leurs représentants et qui, au prétexte de lutter contre l’inflation, ne soutient pas la croissance et l’emploi. Eh bien, il faut réformer les statuts dépassés de la Banque Centrale européenne ; qu’on lui assigne comme tâche de soutenir la croissance et l’emploi par une politique de bas taux d’intérêt, et pas seulement de lutter contre l’inflation ! Que le gouvernement de la France prenne à témoin l’opinion publique européenne et propose de modifier l’article du traité de Maastricht fixant ses missions à la Banque Centrale.
Dernier levier pour soutenir la demande : l’assouplissement du pacte de stabilité budgétaire jadis qualifié de Super Maastricht.
– Deuxième axe : l’amélioration de l’environnement des entreprises.
Chacun le sait, les entreprises décident de s’implanter là où elles trouvent une main d’œuvre qualifiée, un appareil de formation de qualité, de bonnes infrastructures de transport, des équipements sanitaires et sociaux (ainsi des crèches) facilitant la vie professionnelle, et bien sûr un niveau élevé de sécurité. Pour maintenir et accroître l’attractivité du territoire français, il faut des services publics de qualité. Méfions-nous du dogmatisme libéral en la matière : les accidents de chemin de fer en Grande-Bretagne et les pannes d’électricité dans la Silicon Valley devraient tempérer la furia des privatisations. Orientons-nous plutôt vers des emprunts européens multi-émetteurs pour engager la modernisation des infrastructures sur le continent : fret ferroviaire, voie d’eau, liaison TGV, réseaux à haut débit.
Si le rôle de l’État ne peut être dans l’économie d’aujourd’hui celui d’un interventionnisme au quotidien, il reste un acteur majeur, un stratège. Son rôle est d’assurer la stabilité dans le long terme. Des investissements majeurs en matière d’énergie ou d’infrastructures de communication requièrent des décennies d’exploitation pour être rentables. Dans d’autres cas, les coûts de développement technologique dépassent les capacités du secteur privé. C’est le cas dans le nucléaire, l’aérospatiale ou l’aéronautique… Même dans les pays à affichage libéral, ces secteurs sont largement soutenus par l’État. Celui-ci peut aussi faciliter la prise de risque par les entrepreneurs, en soutenant fiscalement les efforts de recherche, mesure que j’ai fait prendre en 1983.
Il est capital que nous portions notre effort de recherche à 3 % du PIB dans des domaines aussi variés que les nouvelles technologies de l’information, les biotechnologies, l’énergie, notamment les réacteurs nucléaires du futur et la pile à combustible, la santé, les transports, l’agriculture et l’environnement, tout en maintenant notre effort de recherche militaire qui, sans nous engager dans l’inutile compétition du « bouclier anti-missiles », doit nous permettre de maîtriser les technologies clés, en particulier dans l’espace et la simulation nucléaire.
Toute l’expérience du dernier demi-siècle en France, comme celle des États-Unis depuis vingt ans, montre que l’initiative publique en matière de développement technologique est le terreau indispensable du développement économique futur et de l’émergence de nouvelles entreprises.
Les marchés financiers ne garantissent aucun avenir stable dans le long terme. L’économie de marché a besoin de cadres et de normes pour se développer. Seule la démocratie peut fonder une légitimité propre à assurer des constructions durables. Méfions-nous des modes passagères : chacun sait bien qu’une exigence de rentabilité à 15 % n’est pas soutenable, quand la croissance est inférieure à 3 %. Faut-il rappeler qu’en cas de coup dur, c’est à l’État qu’on fait toujours appel, pour renflouer les Caisses d’Épargne américaines, garantir la dette du Crédit Lyonnais, tenir à l’Argentine, au Mexique, au Brésil, à la Russie la tête hors de l’eau, et si c’est encore possible, sauver les banques japonaises ?
– Troisième axe d’une politique économique active : le renouveau de l’action sur les structures.
La maison France ne doit pas disparaître. Il est capital de maintenir des synergies étroites entre nos entreprises. Le contrôle des fusions boursières doit favoriser les rapprochements stratégiques et tenir en respect les prédateurs boursiers. Les OPE doivent être réservées aux opérations amicales. Nos entreprises ont besoin d’un actionnariat stable pour mener des politiques qui s’inscrivent dans la durée. Le pôle financier public peut les aider à reconquérir leur autonomie aujourd’hui obérée par les exigences souvent exorbitantes des fonds de pension. En matière industrielle l’État ne peut pas se mettre aux abonnés absents.
La politique industrielle n’a rien perdu de son intérêt dès lors qu’on se projette dans le moyen et le long terme. Ainsi, la disposition d’une énergie non polluante, à bon marché, exige des choix dès aujourd’hui. Veut-on brûler du gaz, du fioul ou du charbon et continuer d’émettre des gaz à effet de serre, ou va-t-on engager les nouveaux programmes nécessaires à la modernisation de nos filières électro-nucléaires avec des réacteurs à faible production de déchets ? Par quelle démagogie ferait-on croire aux Français que la gestion sûre, durable, et réversible, de 500 tonnes de déchets sur vingt ans serait inaccessible, et qu’il faudrait se résigner à produire non plus 500 mais cinquante millions de tonnes de gaz carbonique pendant la même période ? Ces choix sont moteurs pour l’activité, pour l’emploi et pour l’environnement. Développons dans ce domaine une coopération avec l’Allemagne si elle le souhaite, et si elle ne le souhaite pas, avec les États-Unis Pareils enjeux ne sauraient être mis à la merci d’une démagogie à courte vue ou d’une exploitation des peurs, les Verts tenant le PS en otage. Le souci de précaution doit conduire à prévoir l’approvisionnement en énergie pour demain, une énergie indépendante dans ses sources et non polluante pour la nature.
5. Il faut reconstruire l’État républicain et les services publics : les moderniser, non les démanteler.
C’est là un grand sujet auquel j’ai appliqué ma réflexion. On ne peut réformer l’Etat que si ses tâches à long terme sont d’abord clairement fixées. Tâches régaliennes : défense, sécurité, justice, impôts, mais aussi transports, énergie, aménagement du territoire, développement technologique. Tout commence par la définition claire des missions et l’élaboration de véritables projets de service public. L’explosion des nouvelles technologies et le renouvellement des effectifs de la Fonction Publique offrent une chance exceptionnelle de mener à bien ce grand chantier.
Réformer l’État c’est d’abord simplifier la loi. C’est un rôle nouveau pour le Parlement. C’est mettre ensuite à la diète la folle machine interministérielle qui de chaque décret d’application fait une usine à gaz. La décentralisation commence par le coup d’arrêt mis à la prolifération des règlements, qu’ils soient nationaux ou européens. En tous domaines il faut mettre de la clarté, de la lisibilité. Dressons la liste des usines à gaz : la fiscalité nationale et locale, la réglementation de l’urbanisme, la gestion des fonds structurels européens, la procédure judiciaire, la liste en serait longue. Convoquons, sous la responsabilité du Parlement, des Commissions de réforme. Convoquons surtout l’esprit de Descartes. Bref, ouvrons enfin ce grand chantier de la réforme de l’État.
S’agissant de la décentralisation, les orientations de la Commission Mauroy offrent une base de travail sérieuse, et j’ajoute consensuelle. Dans ce domaine je ne crains pas la concurrence des démagogues car j’ai mené à bien deux chantiers majeurs : la décentralisation des collèges et des lycées par la loi que j’ai fait voter en 1985 et dont chacun s’accorde à reconnaître l’éclatante réussite, et l’essor nouveau donné à l’intercommunalité par la loi du 12 juillet 1999. Plus de cent communautés d’agglomération ont déjà surgi : avec des compétences stratégiques, une taxe professionnelle unique, un périmètre enfin pertinent, nos villes disposent désormais du moyen de planifier un développement solidaire à long terme et d’éviter –si la volonté en existe- des ghettos à l’américaine.
On peut aller plus loin dans la voie de la décentralisation : par exemple en dotant les inter-régions d’une compétence propre en matière de développement technologique et d’une part de la TIPPE, afin qu’elle puissent mieux soutenir l’innovation dans le tissu industriel. Je ne propose pas pour autant qu’on revienne sur la délimitation des régions et pas davantage sur l’existence des départements qui jouent un rôle important de cohésion sociale.
Réformons intelligemment, sans casser les repères. Mais décentralisons hardiment pourvu que ce soit dans le respect de la loi républicaine et de la solidarité nationale.
Comme l’État, nos services publics doivent être modernisés. Sachons le cas échéant demander à Bruxelles des clauses dérogatoires.
6. La sixième orientation que je propose touche à l’égalité des femmes qui doivent pouvoir mieux concilier leur vie professionnelle et leur épanouissement familial et personnel. C’est un chantier décisif pour notre avenir.
Il y a en effet une solidarité des générations qu’aucun gouvernement républicain ne peut laisser détruire.
Rien n’oppose, bien au contraire, l’engagement résolu en faveur du droit des femmes, de la parité, de l’égalité professionnelle, du libre-choix de la maternité, à une conception évoluée et adaptée de la politique familiale. Aujourd’hui, beaucoup de couples n’ont pas autant d’enfants qu’ils le souhaiteraient (1,8 par femme contre 2,3 désirés, le taux de renouvellement se situant à 2,1). Une politique de la famille doit donc les aider à surmonter les obstacles matériels qu’ils rencontrent et d’abord dans la vie quotidienne.
Il est possible d’augmenter de moitié en cinq ans le nombre de places en crèches et celui des assistantes maternelles. Un effort de cette nature, capable de résoudre le casse-tête des jeunes mères en quête d’un mode de garde, représente un effort de quelques milliards de francs. N’est-ce pas là le meilleur usage de l’excédent de la branche famille ?
En matière de revenus, il est temps de mettre un terme à la dépréciation des allocations familiales.
La France peut et doit assurer le renouvellement de ses générations : c’est à terme la seule vraie solution au problème de la garantie des retraites et de la protection sociale. Ce choix de l’avenir est aussi celui de la jeunesse qui a été sacrifiée au profit de la rente dans les années 80 et 90.
Il y a deux injustices criantes dans notre société : la situation des familles monoparentales, c’est-à-dire des femmes qui doivent élever leurs enfants seules, et celle des jeunes auxquels leur famille ne peut assurer de ressources pour financer leurs études. Je proposerai que le système des bourses d’enseignement supérieur soit amplifié et qu’il puisse tenir compte de l’évolution sociale vers la plus grande autonomie des jeunes.
7. Septième orientation qui découle de la précédente : nous devons et nous pouvons garantir un bon niveau de retraite et de protection sociale.
C’est par le travail et par la croissance que nous garantirons en effet l’avenir des régimes de retraites. La démographie est la variable essentielle à long terme, et pour la décennie qui vient c’est le taux d’emploi qu’il faut relever: ces deux paramètres conditionnent presque entièrement l’équation que le pays doit résoudre.
Mais le redressement indispensable de ces deux données fondamentales ne dispensera pas d’autres réformes courageuses. Le principe de la répartition ne doit pas être remis en cause mais l’âge de départ à la retraite peut être lié à la durée d’activité et non à un âge-couperet. Il n’y a rien de choquant à ce qu’un salarié entrant dans la vie professionnelle tardivement, après des études supérieures, la quitte aussi plus tardivement qu’un ouvrier entré tôt dans la vie active. C’est la durée de cotisation qui doit établir l’âge de départ en retraite. Cet âge doit cesser de constituer une barrière. Je propose que la retraite progressive soit mise en place, permettant à ceux qui le souhaitent de conserver une activité réduite progressivement ou de continuer à travailler quelques années au-delà de la limite d’âge.
8. J’en viens à la huitième orientation : Aménageons notre espace et mettons l’homme au cœur de l’environnement.
Il faut réconcilier l’Homme et la Nature, reconstruire nos banlieues en substituant aux barres et aux tours de petites maisons de ville, lutter contre le bruit et la pollution en favorisant non seulement les transports en commun, mais aussi les voitures électriques et les véhicules utilisant les piles à combustible, privilégier les filières énergétiques qui ne rejettent pas de gaz à effet de serre, dégager les financements nécessaires à la priorité dont doivent bénéficier la voie d’eau et le fret ferroviaire, réorienter la politique agricole au bénéfice des exploitations familiales, qui disparaissent en trop grand nombre. Nos paysans ont besoin d’être mieux reconnus et considérés. Que seulement 6.200 jeunes agriculteurs s’installent à la terre chaque année doit nous préoccuper : cela signifie que dans trente ans il y aurait moins de 200.000 exploitations agricoles en France contre 600.000 aujourd’hui. Pour encourager l’installation de nouveaux paysans, compte tenu de ce qu’est l’évolution des modes de vie, il n’y a pas de secret : il faut maintenir des prix rémunérateurs et attribuer des aides directes substantielles correspondant au rôle utile que jouent nos paysans : qualité des aliments, sécurité sanitaire, préservation des terroirs et des paysages. Veillons à valoriser les espaces ruraux qui sont un grand atout de la France. Une politique nationale d’aménagement du territoire s’impose pour valoriser notre espace au sein de l’Union européenne. Elle ne peut résulter de la simple juxtaposition de vingt-deux contrats de plan État-région élaborés sans vue d’ensemble. La suppression par le gouvernement du schéma national d’aménagement du territoire dès 1998 a été une erreur. Il y a beaucoup à faire pour que les réseaux à haut débit par exemple irriguent non pas seulement les zones denses, mais l’ensemble du territoire et permettent, grâce au télétravail, de vivifier les zones rurales.
Au-delà de la France, pensons et mettons en œuvre une véritable écologie de l’Humanité. Tous les peuples ont droit au développement. Faisons en sorte que celui-ci soit à la fois respectueux des cultures et des équilibres fondamentaux de la vie, mais refusons d’en exclure les pays tard venus à la modernité. C’est une thèse réactionnaire ! La croissance des jeunes nations reste plus nécessaire que jamais.
9. Science et Culture, faisons se lever les forces de la création.
Plus que jamais, l’avenir est à inventer. Il nous faut donc affirmer sans complexe la liberté de la recherche. Ne confondons pas la science et la démocratie qui, elle, implique des choix d’opportunité et par conséquent des décisions prises à la majorité. Rien de tel ne peut exister en matière de recherche. Sachons donc résister au retour de l’obscurantisme, quelque parure chatoyante qu’il revête. Le moment est venu de donner de nouveaux moteurs à la recherche. L’initiative publique sera pour cela nécessaire. En matière d’emploi scientifique plus qu’ailleurs peut-être, il faut mettre en route des plans de recrutement pluriannuels : Je propose une grande loi de programmation pour la recherche pour les années 2003-2007 portant à 3% la part de la recherche dans le PIB.
La culture et la science marchent naturellement de pair. Une vraie politique culturelle suscite avant tout le désir de culture. Il y a, dans ce pays, une immense ferveur en matière culturelle : 50 millions de visiteurs dans les musées l’an dernier, c’est énorme ! Oui, le peuple français éprouve un vif désir d’images, de gestes, de mots à partager. Mais pour qu’il y ait partage, il faut des créateurs. Et il y a fort à faire pour insuffler l’énergie créatrice et bâtir un contre-pouvoir à la loi du marché. Refonder la culture, c’est délivrer le service public de la télévision de la publicité, en finir avec l’Audimat, bref, lui rendre sa liberté. C’est surtout ouvrir la culture française sur le monde, largement, en joignant les pays francophones aux pays de langue espagnole et portugaise, pour faire barrage à l’uniformisation marchande. La culture n’est pas séparable de cette franche réorientation de la France vers le Sud qui est dans sa vocation : Il nous faut faire connaître et aimer les créateurs du Sud, Youssou N’dour le chanteur, Youssef Chahine le cinéaste, Ousmane Sow le sculpteur, Ahmadou Kourouma l’écrivain, et tant d’autres qui ouvriront la France à l’avenir du monde.
Là est le génie de la France : la capacité à brasser tous les peuples, toutes les émotions à travers la discipline choisie d’une langue, dont Fernand Braudel disait qu’elle était 80% de notre identité. Là est notre rôle : affirmer l’unité de la grande vie humaine par-dessus les fractures que creuse une mondialisation sans âme.
10. La France est et doit rester une grande puissance politique.
a) La France est un grand pays, qui parle au monde entier.
Elle porte le legs d’une conception de la nation fondée non pas sur l’origine, mais sur la volonté d’appartenance à une communauté politique. Faisons vivre pleinement chez nous cette conception républicaine de la citoyenneté. Proposons là en exemple aux peuples déchirés par des haines ancestrales.
Nous sommes fiers de la geste séculaire par laquelle le peuple français a su donner sens à son Histoire, même si les sommets y font voir des abîmes. Ceux qui veulent définitivement gommer la nation parce qu’elle est un obstacle à l’uniformisation marchande du monde n’ont de cesse que de discréditer la France. Ne nous laissons pas prendre à ces campagnes de « repentance » qui imputent à notre peuple tout entier les crimes commis par Vichy ou encore l’incapacité de la IVème République à sortir du bourbier algérien.
Ici, à Vincennes, nous assumons toute l’Histoire de France avec ses ombres et ses lumières, mais nous ne laisserons pas entamer le socle de confiance dont le peuple français, comme tout peuple, a besoin pour forger son avenir.
L’Histoire de France, il nous revient de la continuer. Le moment n’est pas venu d’y mettre fin. La France ne vas pas disparaître avec le franc. Sa voix, longtemps encore, devra résonner puissamment en Europe et dans le monde, au service des grandes valeurs dont nous avons à faire fructifier l’héritage.
b) La France doit être le moteur d’une Europe de projets ambitieux.
Il ne s’agit pas d’être pour ou contre l’Europe. C’est absurde. La France est en Europe. On ne peut pas être contre le continent auquel on appartient. Il s’agit de savoir ce qu’on veut faire de l’Europe. On nous répond par des formules attrape-tout : « Une Fédération d’Etats-Nations ». Le Janus bifrons exécutif, ce dieu antique à deux faces, a trouvé sa motion nègre-blanc, mais serait bien incapable de nous dire ce qui pourrait sortir de ce cercle carré.
L’élection de 2002 sera à cet égard décisive car le Janus exécutif en faisant sienne l’idée d’une Constitution européenne, a déjà accepté de voir la France reléguée au rang d’une grande région. Quand il y a trente peuples en Europe, on fait un traité, on ne fait pas une Constitution, sauf à vouloir dissoudre les peuples.
L’élargissement à vingt-sept États rend absurde tout projet d’intégration fédérale. La solidarité souhaitable des nations européennes ne doit pas signifier uniformisation, effacement de notre personnalité et de notre culture, dévalorisation de notre Histoire, mépris de nos intérêts.
L’Europe que nous voulons signifie projets, dynamisme, ambition partagée. Elle doit compléter les nations qui la composent, et non s’y substituer. Je suis un euroréaliste. Je sais par expérience qu’une forte volonté politique, à condition qu’elle s’appuie sur les nations peut infléchir la lourde machinerie communautaire.
Mais je ferai plusieurs suggestions pour mobiliser les nations européennes et créer un espace commun de débat public :
– D’abord, étendre le droit de proposition, qui aujourd’hui n’appartient qu’à la seule Commission, à toutes les nations membres du Conseil européen, instance maîtresse de l’Union.
– Ensuite rendre publiques les délibérations et les votes au sein du Conseil.
– En troisième lieu, créer au Parlement européen une deuxième Chambre représentative des Parlements nationaux, lieux essentiels de légitimité.
– Loin de se perdre dans des mécanos institutionnels, l’Europe doit s’engager dans de grands projets. La procédure des coopérations renforcées doit devenir le cadre de ces projets : coopération monétaire d’abord, liaisons ferrées à grande vitesse, tunnels transfrontaliers, voies dédiées au fret ferroviaire, mise à grand gabarit des voies d’eau, dépollution de la Méditerranée, sûreté des centrales nucléaires, programmes de recherche, et développement technologique, industries aéronautiques et spatiales, coopération universitaire.
– La France est en Europe une puissance d’équilibre et d’ouverture.
Équilibre dans l’intérêt de toute l’Europe et de l’Allemagne elle-même : il serait judicieux à cet égard d’élaborer un nouveau traité de l’Élysée. Les temps ont changé depuis 1963.
Ouverture, et d’abord vers le Sud, en resserrant notre coopération, en particulier avec l’Italie et l’Espagne : Nous devons affronter tant de défis communs ! Le processus de Barcelone n’a pas tenu ses promesses ; un quart seulement de l’effort annoncé a été engagé : raison de plus pour nous engager résolument en faveur d’une initiative méditerranéenne de co-développement. La croissance et le progrès social peuvent seuls apporter à la rive sud à laquelle tant de liens humains nous attachent, les moyens de faire reculer la misère, terreau d’un intégrisme fanatique qui serait une terrible régression pour ces pays et une grave menace pour notre société.
A nous de convaincre l’Europe tout entière à commencer par l’Allemagne que nous devons nous tourner à la fois vers le Maghreb et vers l’Afrique au Sud, comme vers la Russie à l’Est, pour créer un véritable partenariat stratégique au service d’une paix durable.
c) La voix claire de la République doit se faire entendre dans les affaires du monde.
La politique étrangère de la France doit servir l’idéal républicain et non se laisser asservir par les puissants. C’est vrai dans les Balkans, où manque cruellement la voix d’une conception laïque de la citoyenneté déliée des origines et des religions. C’est vrai au Proche et au Moyen-Orient où la France doit aider à empêcher que se referme l’étau d’une violence sans fin. Israël est capable de puiser le meilleur dans la tradition de justice et de progrès qui l’a fondé. Les Palestiniens doivent voir reconnus leurs droits légitimes aujourd’hui bafoués. Ils ont droit à un État réellement viable. Ce sera d’ailleurs la meilleure garantie du droit à la sécurité d’Israël.
Nous devons aider le monde arabe à accomplir cette renaissance, dont il rêve depuis deux siècles, et à réussir son entrée dans la modernité. En Orient aussi, c’est dans une conception laïque de la citoyenneté que les trois religions du Livre pourront apprendre à coexister. Il n’y a pas de paix durable qui ne soit fondée sur le respect de l’identité et de la dignité des peuples. C’est pourquoi la paix doit être pensée de la Méditerranée au Golfe.
J’avais désapprouvé sans équivoque, en son temps, la participation de la France aux opérations américaines contre l’Irak. Avec le recul, chacun peut observer qu’aucune des promesses lancées alors aveuglément n’a été tenue. Il ne reste que la maîtrise américaine sur les deux-tiers des réserves pétrolières du monde, l’envol des prix du brut, et un embargo cruel qui a fait déjà plus d’un million de morts. La France doit faire cesser ce crime.
Je ne serai jamais de ceux qui invitent à jeter par dessus bord les liens particuliers de la France avec le continent africain. L’Afrique pour son développement a besoin d’États, qui soient des États de droit. Les recettes du libéralisme ou de l’ultra-libéralisme n’apporteront que des malheurs sur la terre africaine. Je propose ainsi que la France prenne l’initiative de défier les règles de l’OMC pour sauver la vie de millions d’Africains menacés par le sida. Il est inacceptable que la dévotion à l’égard du droit commercial des brevets interdise la fabrication de médicaments anti-viraux génériques, qui coûtent pourtant 350 $ pour un traitement d’un an, contre 10 000 $ pour les mêmes médicaments sous licence, soit une baisse des prix de 96%. Si la France, ou si des laboratoires français sur le sol africain, produisaient ces anti-viraux génériques, n’aurions-nous pas le courage de mener, contre les « panels » de l’OMC, la bataille pour la vie ?
Le monde aspire à l’unité mais refuse la dictature de l’argent et la morgue des puissants. Il attend que la voix de la France –raison, justice- se fasse entendre pour fixer des règles équitables à la mondialisation : relèvement de l’aide publique, effacement de la dette, accords de co-développement, taxation des mouvements de capitaux à caractère spéculatif. Que la République se dresse contre la loi de la jungle ! Oeuvrons à construire avec les grands pays du Sud un monde multipolaire et rééquilibré !
d) Refaisons enfin de notre défense la défense de la République !
La défense a un prix qu’il faut payer, mais elle doit servir les intérêts de la France d’une manière qui puisse être comprise par tous les citoyens.
Il est difficile de revenir sur la professionnalisation dont, en 1996, j’avais été l’un des seuls à annoncer par avance les effets pervers : baisse des moyens consacrés à l’activité des forces et surtout à leur équipement, difficultés prévisibles du recrutement et de la fidélisation des engagés.
L’armée française n’a pas vocation à jouer les supplétifs. Les opérations extérieures coûtent cher : plus de cinquante Milliards de Francs en une décennie, au détriment bien sûr de nos programmes d’équipement et sans bénéfice évident pour l’intérêt national.
Il est temps de réagir enfin et de redéfinir nos priorités :
– Réduire le niveau de nos engagements extérieurs dès lors qu’ils ne répondent à aucune visée politique sensée. Une Europe réellement européenne s’efforcerait de sortir du bourbier balkanique et de recréer un espace yougoslave associé à son développement.
– Dans la longue durée, la dissuasion reste l’outil essentiel d’une politique extérieure indépendante ;
– Il nous faut par ailleurs préserver les moyens de notre autonomie stratégique : programmes spatiaux, capacités de commandement sur le champ de bataille ; renforcer notre capacité d’agir à distance : avions de transport – avions-ravitailleurs.
? Mais aussi et peut-être surtout, penser aux hommes sans lesquels il n’y a pas de défense qui vaille, c’est-à-dire à la condition militaire.
La défense doit redevenir nationale. Encore une fois, elle a un prix. La France le paiera quand elle comprendra que la défense est l’outil d’une diplomatie indépendante au service de la République.
Conclusion
Des tâches enthousiasmantes s’offrent ainsi à nous, pour peu que nous ne renoncions pas à mettre l’action au service de la pensée.
Peu à peu, notre démocratie a été réduite à un système binaire : Chirac-Jospin, Jospin-Chirac sans que les sujets essentiels on ne voit plus en quoi ils se différencient, la campagne ne s’alimentant que des faits divers, qu’il s’agisse de la chronique des affaires pour l’un, ou de la rubrique « errements de jeunesse » pour l’autre. Il faut sortir de ce système binaire appauvrissant pour le débat démocratique. Il ne suffit pas d’un troisième homme. Il faut un autre possible. C’est ce que je vous propose.
Si je me tourne vers le Peuple français, c’est parce que je sais qu’il existe en son sein des réserves de courage, de désintéressement, d’amour du bien public, et pourquoi ne pas le dire, de patriotisme.
A aucun d’entre vous je ne demande d’où il vient. L’essentiel est la direction dans laquelle nous voulons aller ensemble.
A ceux qui ont partagé les espoirs et les combats de la gauche, pour donner à notre pays un nouvel élan, je le leur dis franchement : ils peuvent se reconnaître dans le combat que j’entreprends.
– Socialistes enracinés dans la République et qui trouveront par là le moyen de rester fidèles à l’enseignement de Jaurès et à leurs convictions les plus profondes, plutôt que de servir éternellement de béquilles à un système qu’ensemble – rappelez-vous- nous rêvions jadis de transformer ;
– Communistes, qui n’ont pas renoncé à faire fructifier le meilleur de leur héritage, quand la classe ouvrière, à travers eux jadis, rencontra la nation.
Les uns et les autres peuvent comprendre que le monde du travail serait réduit à l’impuissance, si la République venait à disparaître. Il est temps de surmonter la tache aveugle qui a fait passer tant d’hommes de gauche sincères à côté de la nation. La gauche et la droite continueront d’exister à l’avenir sous des formes et avec des contenus différents, mais il y a une chose qui est au-dessus de la droite, au-dessus de la gauche, c’est la République !
Il y a tout à gagner à mener de front le combat pour la justice sociale et le combat pour la France.
Et de la même manière, ceux qui ont aimé le général de Gaulle parce qu’il a incarné l’honneur et la liberté du pays, pourquoi refuseraient-ils la main que je leur tends sans arrière-pensée ? Cette main, elle est tendue tout simplement à des Français qui ont raison de vouloir conserver ce qui mérite de l’être : la nation, sa mémoire, les valeurs qui illustrèrent notre Histoire, les principes sans lesquels aucune société civilisée, et à plus forte raison démocratique ne peut survivre, et sont prêts à changer avec nous ce qui doit l’être raisonnablement. Ils savent bien que l’héritage du général de Gaulle a été piétiné d’abord par ceux qui s’en réclament. Là où de Gaulle avait reconstruit l’État, Jacques Chirac l’a déconstruit, par une surenchère permanente sur toutes les modes.
La droite, aujourd’hui entièrement ralliée à la mondialisation libérale, ne voit plus dans la nation qu’un obstacle à contourner.
Relever d’un même mouvement la démocratie et l’État républicain, redonner à la France le sens d’une mission exemplaire, telles sont les tâches de la génération qui vient. Ce sera difficile, certes, mais je compte que le courage, comme en d’autres périodes de notre Histoire, sera au rendez-vous ! C’est l’appel que je lance, sans exclusive, à tous les Français.
Chacun doit le mesurer : prisonnière du système du pareil au même, la République, c’est-à-dire la France, peut, dans les années qui viennent, s’abîmer, comme le soleil dans l’océan, dans un conglomérat marchand où elle perdra définitivement son indépendance et son âme. Ou bien elle peut, par un effort de conscience et de volonté, rebondir et encore une fois surprendre le monde.
Pour rompre avec le système du pareil au même, il faut –je l’ai dit- commencer par la tête. Dans le choix des hommes et des orientations, un Président de la République qui serait l’homme de la nation, peut exercer une influence décisive. Une présidence absolue n’est certes pas souhaitable : le Président de la République ne doit pas absorber tous les pouvoirs. Mais c’est à lui de donner le sens, l’orientation générale. Il lui faut une vision, une certaine idée de la France.
Parce qu’il est la clé de voûte des institutions, il lui faut aussi l’ expérience de l’État et de la vie politique. Je crois pouvoir dire qu’il y a des hommes de valeur dans tous les partis et qui peuvent comprendre le langage de l’intérêt public, dès lors que celui-ci est porté au sommet de l’Etat.
Le chemin que je vous propose sera difficile et il sera long. Je ne me dissimule pas une seconde, croyez-le, les difficultés de toute nature auxquelles je devrai faire face. La voie que je vous propose est la plus droite, la plus difficile, mais comme l’a dit le général de Gaulle, tout compte fait, c’est aussi la plus sûre. Elle consiste à compter d’abord sur nous-mêmes. Vous pouvez compter sur ma détermination. Elle sera totale et ne se relâchera pas car je crois dans ma chance, parce que j’ai foi dans la France et dans la République.
Organisez-vous dès demain dans le pays pour faire entendre la voix de l’intégrité, du courage et de l’espérance. Trouvez l’audace de penser que nous pouvons ensemble changer le jeu et créer une nouvelle donne. Voici comment.
Aucune campagne présidentielle ne s’est jamais déroulée comme prévu. Il n’est pas besoin d’un grand parti pour gagner l’élection présidentielle. Un vaste courant de sympathie dans le pays peut suffire, si cette sympathie, bien sûr, ne se relâche pas, mais va au contraire en grandissant. 67 % des Français aujourd’hui ne savent pas encore pour qui ils vont voter en avril prochain. Cela donne la mesure de l’espace qui s’offre au pôle républicain.
Ce pôle républicain qui est en train de se former et qui se cristallisera dans les prochains mois, impressionne déjà par son ouverture et sa capacité à rassembler largement.
La campagne va créer sa propre dynamique. Elle fera bouger les lignes.
Je parcourrai le pays dans les mois qui viennent, pour me mettre plus encore à l’écoute des Français. Je préciserai et développerai les orientations que je leur propose pour relever la République. Bien sûr les critiques et les attaques vont pleuvoir, mais je n’en ai cure, car je sais ce qui les inspire.
Dans toute bataille, il y a un espace stratégique à occuper. Si, grâce à vous, grâce à tous ceux qui me font confiance, je peux occuper cet espace, au début de l’année prochaine, alors je gagnerai la bataille.
Je compte sur vous. J’aurai besoin de vous pendant ces huit mois de campagne. J’ai besoin de votre engagement. Ne ménagez pas vos efforts. L’occasion de rebattre en profondeur toutes les données de la vie politique française ne se représentera pas de sitôt au cadran de notre Histoire.
Rassemblez-vous donc autour de moi : Ensemble nous relèverons la République. Celle-ci sera demain comme hier, si vous le voulez, la force de la France !
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